3.5.11

La loi du marché


Timbré. Quand j’étais gamin, j’ai collectionné des timbres. Manque de chance, le Yalta philatélique avait déjà eu lieu bien avant ma naissance. Mes trois frères ainés s’étaient partagés le monde et chacun d'entre eux disposait d’un tiers du gâteau qu’il assemblait dans un grand album cartonné, bien gardé. Lorsqu’à mon tour, je me suis pris au jeu, il ne restait que des miettes, de lointaines colonies australes et des doublons. Alors je me suis calé sur le modèle de l’ainé, qui gérait dans son escarcelle, la France, la Suisse (qui avait l’étrangeté de porter les couleurs de l’Helvetia), l’Egypte et je ne sais plus quels autres territoires. Au commencement, la seule contemplation de ces petits morceaux d’images suffisait à mon bonheur, indépendamment de leur valeur faciale et de leur état. Peu à peu, je me suis rendu compte que la plupart des timbres récents supportent la marque de leur propre bannissement. A partir du moment où ils sont oblitérés, ils perdent l’essentiel de leur valeur commerciale. Autre impératif, ils doivent avoir comme tout bon esclave, toutes leurs dents, sans aucune pliure ni coin abimé. Cette dure loi du marché n’avait aucun sens pour l’enfant inexpérimenté que j’étais alors. En quoi un timbre neuf qui de fait, n’a pas voyagé, ni peut-être traversé des océans, pouvait-il prendre l’avenant sur son alter égo tamponné ? Cet infamant stigmate lui donnait au contraire à mes yeux une aura bien supérieure. Comme les visas et les tampons des douanes sur un passeport, l’oblitération m’apportait la preuve tangible de son trajet et attestait la date de son départ.

Centenaire de l'école Estienne (1989) - Valeur faciale : 2.20 francs
Ma déconvenue fut totale lorsque je franchis l’échoppe d’un marchand, pour acquérir un timbre qu’il me manquait dans une série d’animaux produite par les postes suisses. Il n’était pas possible de l’acheter séparément. Seule la série complète était promise à la vente et à un prix bien plus conséquent. La vénalité des choses me détourna de ce commerce sans toutefois m’en éloigner totalement. Ces petits bouts d'images opiniâtres venaient périodiquement frapper sous notre porte. Lorsqu'un nouvel arrivant se présentait, il était précieusement déchiré de l'enveloppe puis décollé de son support en l'exposant à de la vapeur d'eau chaude. Et si d'aventure il résistait un trempage intégral devenait indispensable.
A l'époque je n'imaginais pas qu'un jour le timbre deviendrait autocollant, qu'il pourrait se personnaliser à la demande et que malgré tous les artifices et les gadgets de la modernité (comme par exemple ces timbres à semer avec des graines encapsulées sous pastilles biodégradables que la Poste a édité en février dernier) il sera condamné à disparaître, victime d'avatars numériques redoutables, comme l'arobase et le mms. Quelques-un d'entre nous le regretteront. Revient à ma mémoire ce beau chant d'amour qu'écrivit à son propos le peintre autrichien Hundertwasser disparu en 2000 : […] Le timbre est la seule œuvre d'art que tout le monde peut posséder. Jeunes et vieux, riches et pauvres, bien portants et malades, savants et ignorants, hommes libres et privés de liberté, ce précieux morceau d'art atteint tout le monde en tant que cadeau venu de loin. Le timbre rend témoignage de la culture, de la beauté et du génie créateur de l'homme. […]

Bonus : Personnaliser ses timbres http://montimbramoi.laposte.fr ;
découvrir Hunderwasser http://www.kunsthauswien.com/en/home
ou l'Ecole supérieure des arts et industries graphiques alias Ecole Estienne  http://fr.wikipedia.org/wiki/École_Estienne

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