Affichage des articles dont le libellé est Rentrée littéraire. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Rentrée littéraire. Afficher tous les articles

7.9.15

La rentrée littéraire sous le bandeau

PLV (publicité sur le lieu de vente). Je me rappelle l'époque où j'officiais dans un des studios les plus créatifs en matière de couverture de livre sur la place de Paris, l'Atelier Pascal Vercken. Lorsqu'un éditeur nous appelait en catastrophe et nous demandait un bandeau pour la couverture d'un livre dont nous avions assuré la réalisation, l'exercice relevait de la corvée, voire de la punition car il bouzillait sans vergogne l'harmonie, l'équilibre de la maquette que nous avions si soigneusement mise au point. Comme il était trop tard pour tout changer, le bandeau s'imposait à nous comme le coup de tampon sur le timbre-poste qui frappe au hasard. Appendice commercial incontournable, il venait embrasser de ses deux rabats le pied de la couverture avec la charge d'en assurer la promotion et l'espoir de lui donner une meilleure visibilité face à ses voisins en libraire. La plupart du temps le nom de l'auteur et de son éditeur apparaissaient sur un fond rouge, écrits en grosses lettres blanches dans un caractère bâton.
A quand remonte cette pratique, je n'en ai aucune idée et pourtant elle n'a pas toujours fini d'emmerder le monde si vous me permettez l'expression ! D'abord les graphistes comme on vient de le voir, suivis des imprimeurs, puis des libraires qui s'escriment à ne pas les déchirer lorsqu'ils les manipulent en pile et enfin les lecteurs qui ne savent plus quoi en faire, une fois qu'ils ont payé leur du. Alors à quoi donc peuvent-ils bien servir ces foutus bandeaux ? La réponse se fait toujours attendre... des éditeurs qui dans une constance presque pavlovienne récidivent tous les ans. Aventurez-vous dans une librairie, particulièrement en cette rentrée littéraire qui affiche 589 nouveautés au compteur, vous en trouverez à foison. Rien ne vaut un test grandeur nature. Lorsque je franchis vendredi dernier, le seuil de la librairie l'Arbre à lettres dans le 14e arrondissement à Paris, quelle ne fut pas ma surprise de constater que ces bandes de papier ne ressemblaient plus du tout à ce que j'en connaissais de l'époque. Elles avaient pris des couleurs (de toutes les couleurs), jouaient librement avec la typographie, affichaient de vraies photographies et non pas de simples photos d'identité, certaines même poussaient le bouchon jusqu'à afficher du dessin ou de l'illustration. Petite revue de détail.

Quelques exemples au hasard subrepticement clichés avec mon smartphone


Si l'on peut s'autoriser un rapprochement avec le monde du sport (hardi j'en conviens), tout cela a l'air de fonctionner exactement comme au foot-ball avec les maillots des joueurs dont les couleurs correspondent aux clubs auxquels ils appartiennent. Par exemple un auteur des éditions de Minuit (affublé d'un bandeau bleu de prusse reconnaissable entre tous) ne pourra se confondre avec un auteur des éditions Julliard fidèle au vert depuis des lustres, un couleur qui pourtant porte le poisse selon la croyance populaire. Dans le lot, il y a aussi quelques frimeurs qui jouent dans la surenchère presque bling-bling à n'en pas douter, comme les éditions du Seuil, porteurs d'un brassard rouge avec des lettres gauffrées d'un bel argenté. D'autres encore, donnent dans le conceptuel presque godardien comme les éditions Jean-Claude Lattès qui ont produit une belle couverture exclusivement typographique et lui ont adjoint un bandeau avec une image plein pot sans la moindre mention. De son côté, la vieille maison Gallimard relève haut la main le défi, dans un mix tonique, mêlant photographie, dessin et écriture manuscrite (façon Dupuy Berberian) pour toute son écurie. Et pour finir ce petit tour d'horizon, les éditions Stock qui ont pris le parti depuis deux ans de faire illustrer les bandeaux de leur collection roman par des étudiants de l'École nationale Supérieure des Arts décoratifs. Y apparait la tête de l'auteur, traitée dans un dessin monochrome et ce traitement singulier apporte une vraie différenciation et une connotation arty des plus plaisantes. Si la recette fonctionne, il faut souligner au passage que ces partenariats avec des étudiants sont peu, voire pas du tout rémunérés et qu'une mise en avant éphémère ne saurait justifier l'équation d'un échange de bons procédés sans y inclure une juste et pleine rémunération.
A la fin d'un match de foot-ball, les joueurs en nage échangent une accolade et leurs maillots. En quittant la librairie, j'étais dans le même état d'excitation et d'épuisement. Je n'ai pas voulu manquer à la tradition. Alors j'ai subrepticement interverti plusieurs bandeaux, je ne vous dirais pas lesquels (c'est très ludique et produit des télescopages impertinents). Je vous encourage à faire de même. Les libraires, beaux joueurs nous pardonneront ! Et qui sait peut-être que la vente des livres s'en portera pas plus mal…