20.4.11

L'arobase et le Carambar

Antistress. Tout le monde ne dispose pas des émoluments d'un Jean-Claude Delarue pour s'envoyer une ligne de coke dans les narines quand la pression monte. Plus modestement dans certains "openspace" où se fabriquent des journaux et des magazines apparaissent les jours de bouclage des paquets de bonbons et des boîtes de confiserie en accès libre. Beaucoup y trouvent leur compte, ça mâchouille et ça vous gave de sucre tout à la fois. De surcroit ça pourrait vous faire sourire, voire vous rendre plus intelligent. Deux conditions tout à fait triviales sont toutefois nécessaires à cette dernière éventualité : disposer de Carambars plus d'une dentition à toute épreuve. Ces barres de caramel à mâcher apparues dans les années cinquante appartiennent dorénavant à notre patrimoine gustatif et culturel. Elles doivent leur succès à leur goût, au design de leur papier d'emballage que ne renierait pas un Raymond Loewy, rappelez-vous une grosse typo rouge posée sur fond jaune avec des rayures rouges et blanches nouées en papillote aux deux extrémités, et last but not least imprimée au verso une devinette, une blague, ou encore une charade, au petit bonheur la chance.

Test grandeur nature. "Qu'appelle-t-on en Suède un oreille d'éléphant ?" La solution inscrite en petits caractères rouges à l'envers donne l'arobase comme réponse à cette question. L'arobase ?  Naturellement c'est un peu courtCar saviez-vous que ce glyphe devenu l'icone des millions d'utilisateurs de l'e-mail fut choisi en 1972 par un obscur ingénieur d'une société informatique américaine qui cherchait un caractère séparateur qui ne puisse pas se confondre avec l'orthographe des noms. Le clavier de sa machine à écrire disposait d'un ovni graphique, l'@, utilsé par les comptables de l'époque pour exprimer un prix unitaire. Sans état d'âme il porta son choix sur ce glyphe, ignorant qu'il lui ouvrait la porte d'une notoriété retrouvée. Inventé par les moines copistes du Moyen Age pour abréger le préfixe latin "ad", cette vieillerie n'a pas fini de faire parler d'elle. Paola Antonelli, conservatrice du département d'architecture et de design du Muséum of modern art of New-York (Moma) annonça le 22 mars 2010 qu'elle avait inscrit l'arobase dans les collections permanentes du musée : "Nous n'avons pas acquis le symbole graphique de l'arobase mais sa présence virtuelle, son ombre comme l'ombre d'un papillon. Je n'ai pas besoin de tuer le papillon pour acquérir son ombre". Convaincue de la dématérialisation des supports, elle ajoute sans sourciller : "l'arobase est l'exemple fulgurant et magnifique de ce que le graphisme devrait être de nos jours. [...] Il devient un outil de visualisation de données complexes dont la fonction est d'aider les gens à comprendre, à gérer et à étudier des masses d'informations." La messe est dite. Heureusement qu'il nous restera nos vieux papiers de Carambar. Le façonnage en nombre de ces papiers de bonbon produit parfois des décalages qui font apparaître la réponse à une invisible question précédente. La queue du singe... Cela ne vous pas dit-il quelque chose ?

En savoir plus : Ray Tomlinson celui par qui toute cette affaire commença http://fr.wikipedia.org/wiki/Ray_Tomlinson
Raymond Loewy http://fr.wikipedia.org/wiki/Raymond_Loewy ;
La saga des Carambars http://fr.wikipedia.org/wiki/Carambar
Paola Antotonelli et son musée imaginaire par Véronique Vienne,
Etapes n°189, fév. 2011 ;


14.4.11

L'empire des signes

© Greenpeace/Andrew Ker

Homonymie. L’actualité finit toujours par nous rattraper. Y compris dans un espace protégé comme celui-ci, dédié aux affaires typographiques et visuelles ! Quelle actualité, allez-vous me demander ? Eh bien la plus grave et la plus terrifiante maintenant en niveau 7, celle qui concerne le Japon et qui va bouleverser la donne du nucléaire civil. Elle prend sa source au croisement d’une bien étrange coïncidence. Hans-Rudolf Lutz fut un grand typographe suisse, un formidable pédagogue et un éditeur passionné. Il nous laissa de fabuleux ouvrages qui font référence et dont il conviendrait de parler ici. Il se trouve par le plus grand des hasards qu’Hans-Rudolf Lutz est aussi docteur en physique, député au parlement d’un canton helvète et ex-directeur de la centrale nucléaire suisse, Mühleberg mise en service en 1972 au nord de Berne dont il supervisa la construction puis les sept premières années d’exploitation. Notre homme ne mâche pas ses mots. Il déplore l'insoutenable légèreté des autorités nucléaires japonaises coupables à ses yeux d’avoir sous-estimé le risque sismique. « Tsunami est pourtant un mot japonais » s’étrangle-t-il ! Ces deux hommes n'ont en commun que leur patronyme.
Tandis que l'un vitupère, l'autre mit tout son cœur à l'ouvrage et consacra l'essentiel de son temps à la célébration des lettres et des signes. Il en dressa l'inventaire, en facilita la diffusion, en participant à l'élaboration des premières photocomposeuses qui remplacèrent la composition au plomb, puis par son activité de graphiste et d'éditeur il contribua à la promotion d'une communication visuelle de qualité, sans esbroufe, ni plan marketing, l'innocence prévalant toujours sur la préméditation. Adepte du "Je produis du signe donc je suis" et de l'émerveillement consécutif, il se prit de passion pour les symboles graphiques.


Par exemple dans Hiéroglyphes de notre temps, pictogrammes sur des emballages de transport, il nous fait partager sa fascination […] Les emballages en carton ondulé n'intéressent pas beaucoup les graphistes. Les images sont réalisées par des artisans dessinateurs. Leur activité n'est pas bien délimitée et aucune formation spécifique exigée, mais ils sont capables de sauvegarder l'information primaire tout en y apportant fraicheur et sensualité malgré une pauvreté de moyens extrêmes. […] C'est à eux que je dédie ce livre. Parce que le monde des signes qu'ils ont créés n'est pas soumis aux mécanismes de contrôle de l'analyse des marchés et des stratégies de vente, c'est la formidable richesse du design qui désigne qui se trouve révélée. […] 5000 de ces symboles graphiques parmi les 15 000 qu'il collectionna et rassembla pendant quinze ans figurent dans ce lourd pavé, publié en 1990, puis mis à jour en 1996. Imaginez-vous à l'époque où Hans-Rudolf Lutz commançait cette faramineuse collecte, le groupe allemand Kraftwerk produisit un tube planétaire lancinant qui scandait :  Radioactivity  - Is in the air for you and me - Radioactivity - Discovered by Madame Curie - Radioactivity - Tune in to the melody etc.

Liens : la production éditoriale d'Hans-Rudolf Lutz  www.lutz.to
Réécouter Kraftwerk http://www.youtube.com/watch?v=eaScyfSHc-Y

7.4.11

Eloge de la simplicité

Moteur. Le mois de mai, celui qui de l'année, décide la destinée comme le dit le proverbe, fera son cinéma du 11 au 22 à la Croisette. Le Festival de Cannes a dévoilé en avant-première lundi 4 avril, l’affiche officielle de sa 64e édition. Bonne pioche, une composition digne d'un Brodovitch bien digéré, glamour et graphique à souhait, conçue par l’agence H5 et son trio magique récemment césarisée pour son court métrage d'animation Logorama.  Starring l’actrice Faye Dunaway photographiée en 1970 par le cinéaste Jerry Schatzberg pour Panique à Needle Park  dans une composition simplissime avec de la belle typo en soutien.

Flash back. Depuis 1946 le Festival de Cannes réunit tous les ans le meilleur du cinéma mondial et édite à cette occasion une affiche. Le site cinema.fluctuat.net a eu la bonne idée de mettre en ligne un diaporama présentant l'ensemble des affiches éditées depuis le début de cette manifestation. Il est assez joyeux de constater que la versatilité française n'a pas épargné la promotion du 7e art. Tantôt figuratif, tantôt abstrait, parfois illustratif, voire purement typographique, tous les styles ont cohabité en passant la plupart du temps du coq à l'âne, sans tambour ni trompette. Si la qualité et l'inspiration n'ont pas été souvent au rendez-vous, il y a dans ces images inégales un instantané de l'air du temps qu'il n'est pas inintéressant de retraverser de fond en comble.
Sur www.écrans.fr Virginie Malbos nous apprend qu'un graphiste suédois Viktor Hertz s'est lancé dans une autre forme de revisitation cinéphilique tout à fait passionnante. A partir d'un langage formel réduit à sa plus simple expression : le pictogramme, il a produit des remakes d'affiches de tous les grands films qui l'ont marqué. Remarquable et puissant. L'échantillon ci-dessous vaut mieux qu'un long commentaire. Là encore pour les réticents au "less is more", on appellera à la rescousse la sagesse du lauréat du 9e prix Glenn Gould (le prix Nobel des artistes) attribué en ce début d'avril à Léonard Cohen pour ce clap final : "Ce qui est réussi est souvent simple mais je n'ai pas trouvé de moyens simples de faire les choses; je cherche toujours".


Bonus : Le diaporama des affiches du Festival de Cannes
http://cinema.fluctuat.net/diaporamas/affiches-festival-cannes/
Les affiches de Viktor Hertz http://www.flickr.com/photos/hertzen/sets/72157625876743038/

2.4.11

La soupe aux lettres


Nettoyage de printemps (bis). Dans nos armoires de cuisine, il y a des denrées qui appartiennent à la saison du solstice de décembre et que faute d'usage il convient de remiser à l'arrière-ban. Des voix s'élèvent contre cette relégation. A côté de la fonderie Deberny et Peignot, fleuron de la typographie française, elles réclament l'inscription d'un autre glorieux tandem au panthéon des lettres : celui de Rivoire et Carret. Pourquoi un tel chambard à propos de ces deux industriels Claudius Rivoire et Jean-Marie Carret qui unirent leurs forces et leurs talents à Lyon en 1860 et inventèrent la production industrielle de pâtes alimentaires à base de blé dur ? Eh bien, allez faire un tour dans un supermarché, si la marque éponyme a disparu, restent sur les linéaires toujours en bonne place les pâtes alphabets. Oui, ces messieurs Rivoire et Carret mirent au point de gigantesques machines capables de presser dans des moules de la pâte, puis de la faire sécher très lentement en évitant qu'elle ne se casse. A la sortie, des chiffres et des lettres en pagaille. Je ne vous lancerai pas le défi de trouver un W… Autant chercher une aiguille qui n'existerait même pas dans une meule de foin. Le W est resté impossible à fabriquer. Est-ce en raison de l'écartement des ses hampes obliques ou d'une allergie à la Perfide Albion ? Les hypothèses vont bon train mais personne à ce jour n'a su élucider le mystère le la 23e lettre manquante de l'alphabet. Qu'à cela ne tienne, vous saurez dorénavant comment faire avaler un potage à votre progéniture... Point de vermicelles mais des pâtes alphabet. Les langues se délieront. Même celle du plus silencieux des prix Nobel de littérature. Invitons-le à notre table. […] Il parlait de A qui est comme une grande mouche avec ses ailes repliées en arrière ; de B qui est drôle, avec ses deux ventres, de C et D qui sont comme la lune, en croissant et à moitié pleine, et O qui est la lune tout entière dans le ciel noir. Le H est haut, c'est une échelle pour monter aux arbres et sur le toit des maisons ; E et F, qui ressemblent à un râteau et à une pelle, et G, un gros homme assis dans un fauteuil ; I danse sur la pointe de ses pieds, avec sa petite tête qui se détache à chaque bond, pendant que J se balance ; mais K est cassé comme un vieillard, R marche à grandes enjambées comme un soldat, et Y est debout, les bras en l'air et crie : au secours ! L est un arbre au bord de la rivière, M est une montagne ; N est pour les noms et les gens saluent de la main, P dort sur une patte et Q est assis sur sa queue ; S, c'est toujours un serpent, Z toujours un éclair ; T est beau, c'est comme le mât d'un bateau, U est comme un vase. V,W, ce sont des oiseaux, des vols d'oiseaux ; X est une croix pour se souvenir. […]
J.-M. G. Le Clézio, Mondo et autres histoires, © Gallimard, 1978.  
Who's next ?

30.3.11

Enfants gâtés

L'IQFont tracée par les roues de la Toyota IQ

Divan. Je ne me suis jamais demandé ce qui m'avait conduit à la typographie, ni ce qui avait déclenché en moi cette irrépressible attraction pour les signes, les caractères d'imprimerie, les tampons, les écritures et toute autre forme d'inscriptions. La passion de la lettre m'habitait et je lui rendais bien sans autre forme de questionnement. Parmi mes livres de chevet se trouvait toujours un catalogue de spécimen de caractères et à la question rituelle : "Qu'emmènerais-tu sur île déserte ?" Je répondais sans détour un catalogue Letraset. A l'époque aujourd'hui lointaine où les lettres-transfert étaient encore la matière première du graphiste, Letraset éditait périodiquement un nouvel opus, vitrine des nouvelles polices qu'il commercialisait. La sortie d'un tel annuaire faisait événement. Nous nous rappelions immédiatement du nom de ces nouvelles fontes, sans aucun effort. Le temps a passé. Avec la PAO et le wysiswyg (what you see is what you get) nous avons abandonné ces planches de décalques au profit de ses nouveaux outils si performants et bien plus rapides. Dessiner une nouvelle fonte est devenu presque un jeu d'enfant. Avec Fontographer et ses tracés vectoriels, ajuster les 26 glyphes d'un nouvel alphabet en capitale puis en bas-de-casse ne demandait plus un travail de Titan, simplement de la constance et de l'application. Alors les polices se sont multipliées et l'offre a considérablement augmentée pour le meilleur et pour le pire. Nous sommes entrés dans l'ère du grand mix*. Et la technique nous permît toutes les audaces. En particulier celles de retrouver des plaisirs d'enfance.



Là encore deux écoles. Ceux qui ont pratiqué le train électrique face à ceux qui ont préféré jouer aux petites autos. Les premiers peuvent s'enorgueillir de disposer de la police Train set produite par un graphiste norvégien, Ludwig Bruneau Rossow, bien sous tout rapport "In my opinion design should have a function, and not just appear as decoration" (les plus anciens de cette catégorie pourront même y associer une autre petite madeleine le petit train rébus de Maurice Brunot qui servait d'interlude pour les programmes de l'Ortf). Les autres ceux qui ont jeté leur dévolu sur l'automobile miniature ne sont pas en reste non plus grâce aux coups de volants de deux graphistes belges Damien Aresta et Pierre Smeets du studio Pleaseletmedesign qui ont imaginé tracer une police l'IQFont avec les 4 roues de la Toyota IQ. Un virage sur la vidéo du tournage s'impose (le lien est indiqué ci-dessous).


Formellement nous sommes dans le registre de la curiosité, psychologiquement dans celui de la régression. Nobody is perfect.

Bonus : La vidéo du tournage de l'IQFont. http://www.youtube.com/watch?v=Vwp4iOCECS8 ; les autres productions de Ludwig Bruneau Rossow : www.bureaubruneau.com ; le petit train de Maurice brunot : http://www.dailymotion.com/video/x2umjj_le-petit-train-rebus-ortf_music ; * le grand mix déjà évoqué dans un post du 11/02, voir démocratie dans la liste ci-contre des mots-clés.

25.3.11

En avant la musique

Maquettes de Robert Malaval sur des photographies de Dominique Tarlé

Nettoyage de printemps. Si l'on devait trouver un bon système pour ranger la nature humaine en deux rayons, eh bien peut-être pourrait-on s'en remettre à cette distinction : les donneurs de leçons et les poseurs de questions... Prenez votre panthéon personnel, la martingale fonctionne à merveille, à côté du bien viendra le mal, Firefox s'opposera au Google Chrome, l'arrogance à l'humilité, et en descendant tout en bas de l'échelle vos valeurs et de vos attachements il y aura immanquablement à départager les Beatles des Rolling Stones. N'en déplaise à Emmanuel Todd, c'est ici que commence la vraie fracture sociale, le séisme qui ébranlera les murs de vos réseaux virtuels d'amis ! Indépendamment de votre préférence pour les Fab four ou les Glimmer twins (Mick + Keith) sachez qu'un objet atypique vient d'atteindre à la salle des vente Drouot à Paris, le 7 mars dernier, un niveau de prix record. La chose concerne les amateurs d'art contemporain, les fans de rock'n'roll et les gens du métiers du livre. Ce coktail improbable fut l'œuvre de Robert Malaval (1937-1980) artiste controversé ayant navigué dans les eaux troubles du pop-art à la française matinées de conceptuel. Notre homme avait choisi son camp et son hymne. Elle s'intitulait "Satisfaction (I can get no…)".  Grand fan des Pierres qui roulent il conçut un livre sur ce groupe, mix de photographies, dessins et commentaires manuscrits.


Cet ensemble ne fut jamais édité et les 74 planches qu'il le composait restèrent jusqu'à ce jour dans un carton. Ces maquettes sont des objets archéologiques. Elles témoignent d'un temps révolu où l'on ne pouvait pas faire apparaître en place les éléments textuels et visuels dans leurs aspects et formats définitifs. La maquette portait seulement le tracé de leurs placements, accompagnée d'indications techniques de traitement, particulièrement pour les photos, parfois jointes ou sommairement collées sur la page. Nous sommes ici en face d'un gigantesque ectoplasme qui porte en lui tous les germes d'un projet graphique et narratif faramineux sans jamais pouvoir le montrer dans sa forme achevée. L'objet est fragile, inabouti, en devenir, saisissant. 62 000 euros fut son prix d'adjudication hors frais !


It's only rock'n'roll but i like it…  Le même jour, furent mises en vente les 51 pochettes de disques qu'a produites Andy Warhol entre 1949 et 1987 dont nous n'extrairons ici que deux monuments : la banane pour le Velvet Underground (1967) de Lou Reed et Nico et la fermeture éclair du Sticky fingers (1971) des Rolling Stones. La boucle est bouclée.

En savoir plus : sur le travail de Dominique Tarlé  http://tinyurl.com/5s43on5 ; les toqués des vinyles et des pochettes qui déchirent se retrouvent plusieurs fois par an, au parc Georges Brassens à Paris, pour un marché du disque de collection. Prochaines dates : le 2 juin, le 22 septembre et le 11 novembre de 9 à 18 h.

20.3.11

L'heure H



Consonne. "T'es comme le H de Hawaï, t'es jolie mais tu ne sers à rien…" Il y a des répliques cultes toujours plaisantes à réentendre mais dont les attributions sont parfois fantaisistes. Lue dans un journal gratuit (ceux qui sont distribué dans le métro) créditée à Dany Boom, je m'aperçois qu'elle appartient en fait à la série Brice De Nice qui a vu l'émergence de Jean Dujardin. Que viennent faire ces deux boute-en-train dans l'univers de ce blog, vous êtes parfaitement légitimes à vouloir sortir un carton jaune, voire rouge, mais remarquez au passage qu'un boute-en-train (terme concernant la reproduction des chevaux) est un mâle qui est là pour amener au plaisir. Alors ne boudons le nôtre, celui de nous attarder un instant sur la huitième petite merveille de l'alphabet, la lettre H, sixième du genre des consonnes.
"H, c’est la façade de l’édifice avec ses deux tours" écrivait Victor Hugo. Gratifée de quatre points au Scrabble, elle présente la singulière particularité de n'avoir aucune valeur phonétique, tantôt muette, tantôt aspirée. Placée en tête d'un mot, elle empêche la liaison ou l'élision. On ne dira pas : les-z-aricots ni l'-azard mais les haricots et le hasard. H comme Hydrogène, la bombe H, la constante de Planck, l'Heure et le Hasch, elle a plus d'un tour dans son sac.
Bois de houx en langue anglaise, se dit hollywood. Je ne vous apprendrai rien en vous rappellant que ce bois de houx est d'abord, essentiellement, uniquement, le quartier de Los Angeles qui vit naître en son sein les plus grands studios de cinéma. "Comme on connait ses saints, on les honore". Nos amis d'Amérique n'attendirent pas que leurs voisins brésiliens édifièrent au dessus de Rio de Janero un gigantesque Jésus (Cristo Redentor) pour dresser sur le mont Lee qui surplombe Los Angeles les 13 lettres géantes constitutives du nom de leur nouvel Eden "Hollywoodland".
Restauré en 1949, le panneau perdit son appendice final et ancra dans les esprits ce vocable glamour indissociable du cinéma. Si d'aventure votre religion vous imposait un pélerinage, sachez que cette destination est aujourd'hui obsolète. Hollywood boulevard fait la seule fortune des spéculateurs immobiliers. N'espérez pas y trouver le Vatican du 7e art, vous n'y découvrirez que des reliques : le Hollywood wax museum, un piètre musée de cire, le Chineese Theater, une fausse pagode où sont projetées les avant-premières, et pour finir le Walk of Fame. Le sol y est jonché d'étoiles avec pour certaines l'empreinte de leurs extrémités. Circulez, il n'y a rien d'autre à voir. Depuis longtemps les films se tournent ailleurs, non loin de là à Burbank ou à Studiocity. Quant aux stars, elles se sont bunkerisés à deux miles au sud-ouest de Hollywwod à Beverly Hills.
Pour sauver le mythe et son enseigne géante, la communauté du cinéma qui compte heureusement de nombreux adeptes, a du les mettre à contribution.12,5 millions de dollars ont été versés l'année dernière pour mettre définitivement la colline aux neuf lettres à l'abri des prédateurs immobiliers. Happy end.

En savoir plus : http://dreamlands-virtual-tour.blogspot.com/2010/08/une-simple-enseigne-hollywood.html

17.3.11

Célébration des catastrophes

De profundis. Il y a comme un paradoxe dans le traitement de l'information à voir des événements dramatiques, qu'il s'agisse de catastrophes, d'accidents, ou de disparitions donner matière à des traitements visuels de toute beauté, d'un violente intensité. Le malheur des hommes fait le bonheur des directeurs artistiques. J'en veux pour meilleure preuve cette splendide série de Unes publiées par Libération, depuis le terrible séisme du 11 mars dernier survenu au Japon.
Les grands disparus de ces trente dernières années ne ratèrent pas non plus leur enterrement de papier. Rappelez-vous ces Unes mémorables à l'occasion de la mort de Coluche, de Gainsbourg, d'Hergé ou de Marcel Dassault. Il faut remonter aux premiers jours du Matin de Paris (1977-1987) pour voir apparaître à la Une d'un quotidien un titre sur une photo en pleine page. Je me rappelle à l'époque, nous étions dubitatifs et mal à l'aise, tellement cette pratique était iconoclaste et balbutiante. Il a fallu tout le talent d'un Claude Maggiori, créateur du nouveau logo de Libération en 1981 pour poursuivre avec ce même journal dont il redessina la maquette ce qui avait eu valeur d'expérimentation. « En faisant le choix du quotidien magazine, Libération favorise les unes en pleine page, lorsque les événements le nécessitent... » défendait son directeur Serge July. Le cocktail photo plein format ajouté à l'impertinence produisit de nombreuses Unes fracassantes. Rappelez-vous encore pour Michael Jackson "Too bad" ou pour Jacques Lacan "Tout fou Lacan". Aujourd'hui la couleur a pris le relai et la Une "plein pot" s'est banalisée. La répétition pourrait lui porter un coup fatal. Il s'agira de résister à la tentation de faire de l'effet, de la belle image sans discernement et contredire in fine Jean-Luc Godard quand il affirmait: "Ce n'est pas une image juste, c'est juste une image".

A lire : Interview d’image de Claude Maggiori, éditions Seuil 2004
Les unes de Libération par Béatrices Vallaeys aux éditions de La Martinière.

10.3.11

Notre logo c'est l'Univers*

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I love typography. Sur le modèle du tableau périodique des éléments chimiques qui représente tous les éléments connus (on l’appelle aussi table de Mendeleiev du nom de son auteur, un chimiste russe qui en définit le principe en 1869), des fous de typographie ont dressé une classification équivalente pour les fontes de caractères.

Nombreux sont ceux qui s'étaient déjà livrés à l'exercice et avaient déposé leurs listes sur le world wide web. Les uns, très sérieusement en affichant par exemple  « Les 30 fontes que doit connaître et posséder tout praticien qui se respecte », les autres plus malicieusement avec des propositions comme « Types no one gets fired for using ». Il ne suffisait plus qu'à passer au shaker l'ensemble de ces résultats pour obtenir une classification à vocation universelle façon Mendeleiev, probablement moins stable et définitive que l'originale, vu les soubresauts de la mode et les progrès de la technologie. Ce fut chose faite.

Observons-la. Pour le néophyte, un premier distingo simple permettra un meilleur repérage dans cette foire aux signes. Il s’agit de pouvoir distinguer les deux grandes familles à partir desquelles se déclinent toutes les autres. C’est-à-dire différencier la famille des caractères bâton dont le tracé est rectiligne sans fioriture aux extrémités (caractère sans serif pour les anglo-saxons) de la famille des caractères à empattement (l’extrémité des lettres comporte une terminaison de forme triangulaire, rectangulaire, voire filiforme : l’empattement). A partir de là tout devient plus simple. Reste juste la nomenclature du tableau : dans chaque cartouche figure un glyphe, le nom du caractère, sa famille de rattachement, son rang dans le classement, le nom de son créateur et enfin l’année de sa sortie.

Que retenir de ce damier magique ? L’on constate que les quatre polices de caractères les plus pléblicités sont des bâtons l’Helvetica, le Futura, l’Univers(*), et l’Akzidenz-Grotesk suivies à la corde par trois polices à empattements, le Bodoni, le Garamond et le Times.
Et alors me direz-vous, tout ce bla-bla indigeste pour en arriver là ? Un micro-querelle de spécialistes, piètre sodomisation de diptères... pas si sûr. En cette époque trouble, que les sondages d'opinions décrivent comme encline à des dérives extrémistes, xénophobes voire fachisantes, il faut revenir au baromètre de la typographie pour garder espoir. Adrian Frutiger, grand créateur de caractères devant l'éternel reconnaissait il y a quelques années garder toute sa confiance dans le genre humain, fort du constat que les deux caractères les plus utilisées à l'époque étaient l'Helvetica et le Garamond, deux polices exceptionnelles, paragon de perfection, constitutives d'un noyau idéal combinant au choix, l'empattement et le bâton, le yin et le yang, le masculin et le féminin, le cerveau droit et le cerveau gauche etc,.

En savoir plus : sur l'Helvetica: lire l'article de Richard Hollis dans le n°168 d'Etapes de mai 2009 ; sur la petite cuisine qui a permis de construire la Table of periodic typefaces http://www.behance.net/Gallery/Periodic-Table-of-Typefaces/193759

6.3.11

Que fait la police ?

Personne n'est parfait (suite). Cas d'école : François Roboth, collectionneur d'activités. Sa notice Wikipédia le présente comme journaliste, photographe, chroniqueur gastronomique et apothéose, secrétaire général de l'association amicale des amateurs d'andouillette. Ces photos sont connues des collectionneurs pour avoir servi à illustrer des pochettes de disques de Pierre Perret et de Thierry Le Luron. Celles qui nous intéressent ici sont d'une toute autre nature. En 68, notre gaillard âgé de 32 ans suivit les événements de mai, un Nikon à la main. Trois ans plus tard, les éditions Balland sortirent un bien curieux petit album rassemblant ses photographies, intitulé "22". C'est encore au marché aux livres anciens du parc Georges Brassens à Paris que j'ai mis la main dessus, intrigué par cette couverture qui ne ressemble à rien mais qui en dit long.
Je ne crois pas qu'elle figure en bonne place dans une anthologie du graphisme de cette période et pourtant elle le mériterait. Non pas par ces qualités esthétiques, mais plutôt par sa puissance signifiante et son contenu subliminal qui ajoute du sens aux signes en permettant l'émergence dans sa totalité de l'expression argotique "22 v'là les flics" qui fait ou ne fait pas office de titre.


En dernière page de l'ouvrage figure une photo du Ministre de l'Intérieur et du préfet de police de l'époque Maurice Grimaud, l'occasion de rappeler à nos mémoires l'exceptionnel sang-froid de cet homme qui sut recadrer les forces de polices dont il avait la responsabilité et éviter une boucherie. Dans une lettre individuelle adressée à tous les policiers le 29 mai 1968, il redéfinit leurs missions dans le respect des principes républicains […] Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu'ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés. […].  68 est passé de mode, il y a pourtant des héritages, des conduites dont certains feraient bien de s'inspirer.

Lien. Back to typo. A tous ceux qui se casse la tête à reconnaitre une police, il existe un site : www.identifont.com  l'approche y est plus déductive que visuelle, mais bon nobody is perfect.